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|  Par Stéphane Alliès et Lénaïg Bredoux

Depuis le début de la guerre menée par Israël à Gaza, Manuel Valls a été le plus virulent pour dénoncer les manifestations de soutien avec les Palestiniens organisées en France et pour condamner ce qu’il appelle un « nouvel antisémitisme ». Des propos conformes à ses déclarations de ces dernières années mais qui détonnent avec ses engagements passés comme maire d’Evry.

Le revirement est manifeste. Depuis le début de la guerre menée par Israël à Gaza, Manuel Valls a été le plus virulent pour dénoncer les manifestations de soutien avec les Palestiniens organisées en France et pour condamner ce qu’il appelle un « nouvel antisémitisme ». Des propos conformes à ses écrits ou ses déclarations de ces dernières années. Mais parmi les organisateurs ou les participants à ces défilés, certains se souviennent du maire peu connu d’une ville de banlieue qui dénonçait la colonisation israélienne et plantait un olivier pour la paix à l’appel d’une plate-forme d’ONG.

L’épisode est peu connu (voir notre boîte noire), tant il remonte à une époque où Manuel Valls était loin de faire la Une des journaux. Jusqu’à sa candidature à la primaire de 2011, il était un député socialiste parmi d’autres, largement inconnu du grand public, sauf quand il faisait parler de lui en soutenant la TVA “sociale” ou la loi contre le port du niqab de Nicolas Sarkozy. Mais dans les années 1990, jusqu’à la fin des années 2000, l’actuel premier ministre s’est démarqué, y compris au sein de son parti, par des positions dites “pro-palestiniennes”.

Le PS est traditionnellement divisé sur le conflit israélo-palestinien et il a toujours compté en son sein de fervents défenseurs d’Israël. Manuel Valls n’était alors pas de ceux-là. Elu en banlieue parisienne, il a régulièrement participé à des manifestations de soutien avec les Palestiniens. A Evry, dont il est le maire de 2001 à 2012, Manuel Valls entretient même, selon plusieurs témoins, une « relation de confiance » avec les militants de la cause palestinienne. En 2002, à la suite de l’opération “Rempart” menée par Israël pour occuper la Cisjordanie, le jeune maire prononce un discours pour y condamner « la poursuite de la colonisation qui viole le droit international ».

Surtout, comme le rappellent l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et le PCF , Valls lance alors : « Oui, la cause de la Palestine est la cause du droit, de la justice, du droit des Palestiniens à disposer d’un Etat et à vivre en paix. Il faut qu’Israël res­pecte les réso­lu­tions de l’ONU. Pour cela le rapport de force est indis­pen­sable et donc il faut amener les par­le­ments et les gou­ver­ne­ments à sus­pendre l’accord d’association Union européenne-Israël, ce qui aurait effec­ti­vement un écho énorme en Israël et en Palestine. Oui, chers amis, nous devons faire la démons­tration de notre volonté inébran­lable pour que le peuple pales­tinien, à travers notre mobi­li­sation, retrouve le chemin de l’histoire. » Douze ans plus tard, la suspension de l’accord d’association ne fait plus partie des revendications de Manuel Valls, ni même du vocabulaire de l’exécutif français.

En 2006, une nouvelle convention de jumelage est signée entre la ville de l’Essonne et le camp de réfugiés de Khan Younès, situé dans la bande de Gaza. Manuel Valls préside logiquement la cérémonie et y prononce un discours aux côtés de Hind Khoury, nouvelle déléguée générale de la Palestine en France.

Dans le fascicule de présentation, toujours disponible sur le site de l’association Evry-Palestine, cheville ouvrière du jumelage et membre de l’AFPS, le maire de l’Epoque y écrit : « La signature par la ville d’Evry d’un accord de coopération avec le camp de réfugiés de Khan Younis incarne la volonté de marquer, fortement et symboliquement, son engagement solidaire avec ce peuple de Palestine, riche de ses traditions et de sa culture. Alors que la tragédie ne fait que s’amplifier, notre mobilisation aux côtés de l’association Evry Palestine est fondamentale. Elle marque notre souhait d’aider nos amis palestiniens par des actions, certes modestes, mais concrètes. Elle permet d’informer nos concitoyens sur la réalité de la situation à Gaza. Elle repose, enfin, sur le voeu d’une paix durable entre deux Etats, dans la sécurité et la liberté pour chacun des deux peuples. »

La brochure coéditée par Evry Palestine et la ville d'EvryLa brochure coéditée par Evry Palestine et la ville d’Evry

La brochure, coéditée par l’association et la mairie d’Evry, parle, cartes à l’appui, de la bande de Gaza comme d’un « territoire enfermé et assiégé », avant de donner une liste de contacts « pour en savoir plus sur la Palestine et la situation dans la bande de Gaza ». Parmi eux : l’AFPS, l’Union juive française pour la paix ou encore les étudiants palestiniens du Gups. Autant d’organisations qui manifestent depuis le début du mois de juillet, y compris dans les défilés autorisés dont Manuel Valls dit aujourd’hui tout le mal qu’il pense.

Mais à cette époque-là, le député et maire d’Evry participe aux manifestations d’Evry-Palestine, notamment les « 6 heures pour la Palestine » organisées chaque année à l’Hôtel de ville. « C’était même dans la salle du conseil municipal ! », se souviennent plusieurs participants (voir aussi l’affiche de présentation ci-contre). En 2006, Manuel Valls participe à un débat avec un « repré­sentant du camp de réfugiés, Denis Sieffert de Politis, Richard Wagman, pré­sident de l’Union Juive Fran­çaise pour la Paix, Mohamed Kacimi, écrivain ». Le thème : « témoi­gnages, soli­darité concrète avec la Palestine, soli­darité poli­tique. » Deux ans plus tard, en 2008, le maire est encore là pour une table-ronde avec Claude Nicolet, président du RCDP, le réseau de coopération décentralisée pour la Palestine.

La même année, il plante un olivier à Evry dans le cadre de la cam­pagne de la Plate-forme des ONG pour la Palestine, et en com­mé­mo­ration de la Journée de la Terre du 30 mars 1976 (voir la vidéo ci-dessous). « Je pense évidemment peut être d’abord aux habitants de la bande de Gaza enfermés, qui vivent une situation infernale, dans tous les sens du terme. Et bien sûr à tous nos amis du camp de Khan Younis avec lequel notre commune a signé un accord de coopération décentralisée. Je pense aussi évidemment au Liban, à l’Irak, à une politique américaine qui caricature les conflits au nom de la confrontation entre civilisations. Tout cela interpelle. (…) L’édification d’un mur honteux, la poursuite des colonisations, le sort des prisonniers, l’absence de dialogue, l’humiliation. Bref, des événements qui ne vont pas dans le sens de la paix. (…) Il est plus que jamais nécessaire de souligner l’urgence de la création d’un Etat; d’une patrie viable, réelle, concrète pour les Palestiniens », affirme alors Manuel Valls.

Autour de lui, des élus, des militants, dont certains tiennent des pancartes. Sur l’une d’elle, un autocollant a été ajouté. On peut y lire : « Je refuse qu’on me traite d’antisémite quand je dis non à l’occupation de la Palestine. » En décembre 2006, le maire d’Evry participe à un rassemblement de soutien aux Palestiniens.

« Ils ont un problème avec Israël. »

Les témoins de l’époque n’en reviennent pas aujourd’hui. Denis Sieffert l’a raconté en novembre 2012 dans un article de Politis intitulé « la conversion de Manuel Valls » : « Nous avons été nombreux à connaître Manuel Valls, maire d’Évry, honorant de sa présence les « Six heures pour la Palestine » qui se tiennent chaque année dans sa ville. Nous l’avons vu, en 2002, accueillir chaleureusement Leïla Shahid, alors déléguée de la Palestine en France, à l’occasion du jumelage d’Évry-Ville nouvelle avec le camp de Khan Younis. Nous pouvons encore relire ses mots prononcés à la tribune de la Mutualité, un certain 20 novembre 2002, quand il jugeait la situation « révoltante » et dénonçait « la colonisation qui viole le droit international ». »

« A l’époque, Manuel Valls tenait des positions très claires et affirmait de façon très nette les positions traditionnelles de la France sur la création de deux Etats, sur les frontières de 1967, avec chacun Jérusalem pour capitale, et sur la condamnation de la colonisation », explique aussi aujourd’hui Claude Nicolet, à la tête du RCDP et conseiller régional Nord Pas-de-Calais sous l’étiquette du MRC.

Le président de l’association Evry-Palestine Bertrand Heilbronn, qui refuse de se focaliser sur « l’itinéraire d’une personne », confirme cependant le « tournant » de Manuel Valls. « Il faut que Manuel Valls comprenne que son avenir politique ne passe pas par la complicité avec des criminels de guerre (les dirigeants actuels d’Israël, ndlr). Et puisqu’il a fait un tournant dans un sens, il n’est jamais trop tard pour en refaire un, dans l’autre sens. De toute façon, c’est la position du gouvernement français qui importe et qui doit changer », explique-t-il.

La rupture entre les militants pro-palestiniens d’Île-de-France et Manuel Valls a lieu en 2009 : le maire propose que la ville ne soit pas seulement jumelée avec le camp de réfugiés palestinien de Khan Younès mais aussi avec une ville israélienne. Evry-Palestine s’y oppose en jugeant le moment mal choisi – c’est l’époque de l’opération “Plomb durci”. Résultat, quelques mois plus tard, Valls refuse que la mairie continue d’accueillir les « 6h pour la Palestine ». La subvention annuelle de la ville à l’association est elle aussi supprimée.

Deux ans plus tard, en 2011, Manuel Valls interdit un débat après la projection du film Gaza-strophe dans la communauté d’agglomération d’Evry (lire notre article de l’époque). Il « a demandé l’annulation du débat, dans le souci d’éviter l’instrumentalisation d’un lieu public au profit d’une organisation politique, Evry Palestine, à qui il arrive parfois de défendre des thèses assez radicales », explique alors à Mediapart le maire de la commune voisine de Ris-Orangis, Thierry Mandon, aujourd’hui secrétaire d’Etat du gouvernement de Manuel Valls.

Au niveau national, le basculement est identique. En 2010, Manuel Valls, mais aussi François Hollande, s’oppose vigoureusement à la campagne de boycott des produits israéliens. Surtout, l’année suivante, le futur premier ministre fait partie des socialistes à s’opposer à la reconnaissance de l’Etat de Palestine à l’Onu. Une position minoritaire au PS mais partagée par 110 parlementaires à l’époque, dont l’actuel secrétaire d’Etat aux relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen.

A cela s’ajoute une dénonciation vigoureuse et permanente de l’antisémitisme par Manuel Valls, convaincu que Lionel Jospin, à l’époque de la gauche plurielle, avait minoré le phénomène. Le sujet n’a en soi pas grand chose à voir avec la politique israélienne mais l’ex-maire d’Evry, à l’instar du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui organise ce jeudi un rassemblement de soutien à Israël à Paris, entretient la confusion entre antisémitisme et condamnation du gouvernement Benjamin Netanyahou. En 2012, selon Le monde juif.info, Manuel Valls promet de « combattre l’antisionisme, cet antisémitisme qui vise à nier Israël », lors de l’inauguration de l’Allée des Justes, à Strasbourg.

Plus récemment, lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv et à propos de l’interdiction de certaines manifestations de soutien à la Palestine, le premier ministre a parlé d’ « une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa « haine du Juif » derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël ». Pour Valls, ce « nouvel antisémitisme » se confond, et se mêle, au diagnostic qu’il porte depuis plusieurs années sur le pays : celui d’une jeunesse des quartiers populaires en perdition qui peut se réfugier dans l’islam radical et fait porter un risque de déstabilisation voire un danger terroriste.

«Lisez mes œuvres complètes. J’ai été un des premiers à parler d’un nouvel antisémitisme. Il se construit depuis des années. J’ai été un des rares, avec Sarkozy, à me confronter à Tariq Ramadan (et notamment dans une tribune de 2003 cosignée par Jean-Luc Mélenchon et Vincent Peillon dans laquelle les trois se présentent comme « altermondialistes »), a récemment déclaré Manuel Valls au Figaro. Ce qui m’inquiète, c’est de voir le jihadisme se mêler à l’antisémitisme. » Avant d’ajouter à propos de l’extrême-gauche et des écologistes qui participent aux manifestations de soutien à Gaza : « Ils ont un problème avec Israël. »

Les raisons d’un revirement

En 2011, lors d’une rencontre organisée et filmée par Radio Judaïca à Strasbourg, Manuel Vall est vivement mis en cause par une question qui « accusait le PS d’être antijuif », selon le directeur de la radio, cité par Arrêt sur images en 2012. Il répond tout aussi vivement : « Je ne parle que pour moi : la lutte contre l’antisémitisme, je dis ça pour des raisons politiques, historiques, ma famille est profondément liée à Vladimir Jankélevitch qui a écrit le plus beau livre qu’on puisse écrire sur l’imprescriptible et la Shoah ; par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël, quand même… », explique-t-il.

Après la nomination de Manuel Valls place Beauvau, la vidéo a été supprimée du site de la Radio Judaïca Strasbourg, puis de Dailymotion et de Youtube, comme l’avaient noté Alain Gresh, du Monde diplomatique et Arrêt sur images. Une décision prise par la radio et non à la demande du nouveau ministre, selon son directeur.

De toute façon, Valls parle là de la lutte contre l’antisémitisme, pas de sa position sur le conflit israélo-palestinien. Et on peut être lié à Israël et à la communauté juive sans défendre les positions du gouvernement israélien. « Son virage à 180 degrés est aussi concomitant du début de sa trajectoire présidentielle. Et à ses yeux, dans cette trajectoire, c’est impossible d’être pro-palestinien », affirme Jacques Picard, conseiller régional Europe Ecologie-Les Verts et président de l’association L’Olivier de Corbeil-Essonnes. Avant d’ajouter : « Manuel Valls est de ceux qui pensent que le Crif est influent sur la vie politique française et que l’on ne peut pas être président avec l’opposition du Crif. »

« En restant sur un segment trop étroit, comme celui de l’engagement pro-palestinien, on a du mal à s’imposer comme un premier rôle en politique, estime aussi Claude Nicolet, du RCDP. Et puis, Manuel Valls a posé le diagnostic d’une droitisation de la société française. Il y a dans son positionnement actuel une volonté de faire exploser les clivages à gauche et de procéder le plus rapidement possible à une recomposition de la vie politique française. » Un avis partagé par la sénatrice EELV Esther Benbassa, auteure d’un billet cinglant en réponse au premier ministre : « Il est vrai, aujourd’hui, que défendre les Palestiniens ne sied guère à un présidentiable. Je n’en dirai pas plus, par respect pour la fonction de Premier ministre. »

« Sur tous les grands dossiers, Valls a été dans le sens du vent », rappelle aussi un de ses compagnons de route du PS, citant l’exemple de ses revirements sur le traité constitutionnel européen. Après avoir défendu le « non », le député PS avait fini par faire campagne pour le « oui ». « Manuel Valls est très intelligent. Mais son intelligence première est de capter les vents et, en fonction, d’adapter sa position », dit cette même source, sous couvert d’anonymat.

Interrogé, le cabinet de Manuel Valls nie tout changement dans les positions du premier ministre. « Nous ne considérons pas que sa position ait varié. Cette analyse est un artifice. Le seul camp, c’est celui de la paix », explique son entourage.

source: mediapart.fr