Discours prononcé ce matin devant les étudiants de l’école Telecom Paris Tech et des professionnels du Syntec numérique :
Je travaille depuis plus d’un an à l’élaboration d’un programme complet de refondation pour la France. Je déroule sujet après sujet mes propositions de rupture avec un objectif : faire en sorte que dans la prochaine décennie la France devienne la première puissance européenne !
Après l’Europe, l’éducation, la compétitivité, la lutte contre les déficits et la dette, l’immigration, le logement, je vous présente aujourd’hui mes propositions sur un thème stratégique, le numérique.
Elles ont été élaborées après des semaines d’échanges et de travail avec des professionnels, des experts et des parlementaires. Ce sont des propositions concrètes et globales pour une politique qui est vitale pour l’économie française.
Vous êtes des professionnels. Aussi vous épargnerai-je les habituelles banalités sur la révolution numérique.
Je me contenterai de dire que cette révolution qui a commencé avec l’irruption de l’Internet au début des années quatre vingt dix connaît une nouvelle phase qui atteint désormais tous les secteurs de l’économie, toutes les populations et tous les services.
Elle redistribue les cartes au plan national comme à l’échelle de la planète.
Les grandes entreprises de l’ancienne économie sont bousculées par l’arrivée de nouveaux venus qui remettent en cause tous les modèles d’organisation et de production.
Les territoires les moins développés peuvent y trouver un moyen de réduire leurs handicaps, parfois même de sauter des étapes que les économies les plus développées ont mis des décennies à franchir.
L’accès à l’éducation, à la culture, à la santé pour tous peut redonner une nouvelle force au principe républicain d’égalité des chances tellement mis à mal ces dernières décennies.
Les réseaux très haut débit, le cloud Computing, le Big data, les objets connectés sont autant d’innovations qui libèrent la créativité, la croissance, qui créent de l’emploi et qui améliorent nos conditions de vie au quotidien.
Le numérique est aussi l’occasion de bouleverser l’ordre établi et les vieux critères de réussite trop souvent associés à l’âge ou au statut social.
Encourager le numérique n’est donc pas seulement encourager un secteur ou même des entreprises : c’est favoriser une société plus dynamique, plus collaborative et plus diverse !
Mais la révolution numérique touche aussi au plus intime de notre être. Elle peut favoriser la liberté de l’individu ou la restreindre. Elle peut encourager la diversité culturelle ou la détruire. Elle peut réduire les inégalités ou les accroître.
Le respect de l’homme et de sa vie privée doit donc être au cœur de toutes les politiques menées en faveur du développement des technologies numériques. Il en va de notre identité et de notre liberté.
Le programme que je vous présente aujourd’hui a deux objectifs :
- créer les conditions qui permettent à la France d’être un leader mondial du numérique.
- faire en sorte de ne laisser personne sur le côté, notamment dans les zones non urbaines et chez les populations les moins connectées.
Pour faire de la France un leader numérique et innovant, je propose donc des mesures de rupture articulées autour de 5 leviers :
- L’éducation, parce que tout commence par l’école.
- L’administration, parce que le numérique permet d’améliorer l’efficacité et la diversité des services publics et de maîtriser leur coût.
- L’économie, parce que le numérique est un outil essentiel de compétitivité, de croissance et d’innovation.
- Les infrastructures, car il faut relever le défi du très haut débit pour tous.
- L’environnement fiscal et légal, car il faut lutter contre le pillage de nos industries culturelles et rétablir l’équité de traitement entre tous les acteurs.
Vous trouverez le détail de mon projet dans le document qui vous a été remis, mais je vous livre ici l’essentiel.
1 / L’éducation
Je propose d’abord la généralisation de l’enseignement du numérique pour tous et à tous les niveaux. L’objectif est la bonne compréhension et appropriation du numérique, y compris par les plus jeunes. Il s’agit de former des professeurs spécialisés, en instaurant notamment un CAPES informatique. L’enseignement de l’informatique dans chaque cycle doit également être une priorité. Dans le même esprit, je propose d’inscrire dans les programmes scolaires les rudiments de programmation, de codage et d’algorithmique. Je veux aussi tourner l’apprentissage vers des métiers d’avenir. Pour vous donner un exemple, la France aura besoin de plus en plus de codeurs. Il faut donc développer des formations qui permettent de fournir au marché les 150 000 codeurs par an dont les entreprises du numérique ont besoin ! C’est aussi une manière d’inclure des jeunes sans qualification préalable en leur proposant une formation qui réponde à leurs aspirations ! Je pense à tous les jeunes pour lesquels ce métier peut être une chance de réussite et d’accomplissement professionnel. Et, je pense notamment aux élèves des quartiers défavorisés, souvent issus de l’immigration auxquels ces formations peuvent donner une occasion de réintégration et de vraies perspectives d’avenir. Je veux que le numérique relève de la responsabilité du chef d’établissement et de son équipe pédagogique. Je veux fixer un objectif de 80 % de la dépense en numérique éducatif décidée et gérée localement. Cette proposition s’inscrit dans mon projet global d’autonomie des établissements scolaires qui doivent être dirigés par un patron avec le pouvoir de choisir ses équipes enseignantes et d’élaborer avec elles, un projet pédagogique adapté aux territoires et aux populations.
Je propose un meilleur équilibre entre manuels scolaires et contenus pédagogiques numériques, qui donnent accès à un autre mode d’apprentissage.
Il ne s’agit pas de passer au tout numérique à l’école et de se priver de l’apprentissage des humanités, mais de mixer les outils de cet apprentissage pour profiter des deux mondes auxquels ils donnent accès.
Au cours des 5 prochaines années, au moins 25 % des manuels scolaires devront passer au format digital. La réallocation d’une partie du budget des manuels scolaires papier (350M€ annuels) permettra de lancer un programme d’achat de contenus pédagogiques numériques. Un marché sera ainsi créé pour les start-ups françaises du secteur en développant des plateformes combinant ressources gratuites et services payants. Il s’agit d’une priorité économique pour contrer l’offensive des entreprises anglo-saxonnes qui ont une longueur d’avance dans ce domaine et d’une priorité culturelle pour rester maître de contenus stratégiques pour la formation des jeunes français.
2/ Le numérique au service de la réforme de l’Etat
L’Etat doit montrer l’exemple en repensant son organisation pour profiter au maximum des atouts du numérique. Je milite donc pour une meilleure gouvernance du numérique avec la création d’un Haut Commissaire à la transformation numérique, rattaché directement au Premier ministre et couvrant Numérique et Achats. Ce poste, à l’image du commissariat aux investissements d’avenir confié à René Ricol, qui a été l’une des réussites les plus marquantes de mon gouvernement permettrait de coordonner l’action numérique de l’Etat avec une gouvernance plus efficace et un relais fort dans les services de l’Etat. Ce Haut Commissariat sera à la fois une fonction politique et une fonction de coordination effective.
Toujours dans cet esprit d’améliorer l’efficacité des services publics, je veux faire des acteurs publics des promoteurs de l’innovation en mettant la commande publique au service des PME
A l’instar du Small Business Act américain toujours donné en exemple et jamais mis en œuvre, je propose donc de créer un « Contrat de confiance aux PME » pour l’accès à la commande publique. Il s’agit d’introduire une quote-part d’achats publics d’au moins 30% auprès de PME et de start-ups françaises innovantes. Ce dispositif serait mis en place par la structure « Numérique et Achats » rattachée au Premier ministre. L’achat public représente 40 milliards d’euros par an, 80 milliards si l’on ajoute les collectivités et hôpitaux.
Il faut également faire évoluer le rôle de l’Etat face aux flux de données auxquels il a accès. C’est pourquoi je propose d’instaurer un service public de l’open data qui permettra de mettre à disposition de tous cette information et de créer de nouveaux services qui amélioreront et résoudront des problèmes de vie quotidienne des Français comme la circulation, le chauffage collectif, la gestion de l’eau, de l’électricité… J’ai d’ailleurs, dans mes propositions sur le logement, préconisé un open data sur les prix de l’immobilier.
Mener cette révolution suppose de développer une politique industrielle du Cloud.
Dans le même esprit, je souhaite regrouper les plateformes numériques donnant accès aux services publics afin de faciliter la vie des clients qui disposeraient d’un dossier administratif personnalisé sur un même site. Un des enjeux majeurs de ce chantier est de concilier efficacité et protection des données individuelles.
3/ L’Etat doit créer les conditions économiques du succès des entrepreneurs français.
J’ai proposé un projet radical de simplification des règles fiscales et sociales qui concerne l’ensemble de notre économie.
Mais les PME innovantes, les « start-up » les entreprises de la nouvelle économie ont des besoins spécifiques liés au niveau de risques qu’elles prennent.
Je propose de développer le capital-risque en orientant une partie de l’épargne (assurance-vie notamment) vers des fonds spécialisés dans l’innovation. La notion de risque serait intégrée en prenant en compte fiscalement les éventuelles moins-values réalisées. Même si la France compte beaucoup de business angels, elle en compte infiniment moins que la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis… Or sans business angels, pas de capital et donc pas de développement de l’économie numérique !
Je propose également de généraliser le e-learning et les MOOC pour la formation professionnelle afin de permettre aux PME de s’établir sur Internet mais aussi pour diffuser les compétences et la culture numérique. Le recours à ces outils représente un gain de temps et d’argent considérables.
Le projet que je porte sur le numérique dépend évidemment d’une condition essentielle : que tous les Français puissent avoir accès aux réseaux numériques à très haut débit. C’est une question d’équité et de justice.
Je propose de programmer l’extinction progressive du cuivre pour développer sur l’ensemble du territoire du très haut débit pour tous. Il s’agit d’accélérer le développement des projets financés par le secteur public (national et européen) et des partenaires privés. Il faut notamment saisir l’opportunité de l’annonce du « Plan Juncker » pour flécher en direction du THD une part substantielle des 300 milliards d’euros d’investissements annoncés.
Un aspect essentiel de cet investissement sera l’accès au très haut débit des 40 % de foyers situés dans les zones les moins denses en population du territoire français. Sur ce point, je veux rappeler que le programme des investissements d’avenir de 2010, notamment son Fonds national pour la société numérique (FSN), avait joué un rôle précurseur en soutenant dans ces zones les projets de réseaux en fibre optique des collectivités territoriales.
Toutes les technologies existantes doivent être prises en compte.
L’effort d’investissement recourant exclusivement à la fibre optique a été évalué entre 20 et 30 milliards d’euros par la Cour des Comptes!
Or il existe d’autres technologies (câble, cuivre modernisé, satellites) qui peuvent dans certains cas apporter des solutions plus rapides à mettre en œuvre et moins coûteuses.
Un autre chantier essentiel est celui des satellites et des fréquences. En effet les usages se portent de plus en plus sur les smartphones et donc sur plus de mobilité. Or chacun fait ce qu’il veut au niveau européen dans la gestion des fréquences, ce qui nuit à l’investissement. Nous devons mieux intégrer la dimension européenne dans la gestion des fréquences afin de créer un marché unique européen.
Plus notre société développera les outils numériques, plus elle sera exposée aux attaques terroristes et à de nouvelles formes de délinquance. La parfaite maitrise par les mouvements totalitaires islamiques des armes numériques exige un renforcement immédiat et permanent des dispositifs de défense et de sécurité des systèmes d’information. Cet enjeu se situe d’abord au niveau européen. Aussi je prône une coordination renforcée entre les Etats, les organisations régionales et le secteur privé pour prévenir et sanctionner l’utilisation des nouvelles technologies à des fins terroristes et criminelles. Je propose également d’encourager davantage, à travers la commande publique notamment, la coopération entre l’Etat et les acteurs économiques majeurs du secteur de la défense.
4/ Une stratégie industrielle
Un des enjeux clefs de cette stratégie concerne l’équité de traitement entre tous les acteurs. Je propose donc la mise en place d’un agenda européen pour l’équité de traitement fiscal entre les majors américaines et les entreprises européennes. Il existe aujourd’hui une inégalité de traitement fiscal entre les géants mondiaux de l’Internet et nos PME dans le secteur du numérique. Cette situation pénalise fortement notre industrie, ce qui n’est pas acceptable.
Cet agenda numérique européen ne devra pas se confiner aux seules questions fiscales : il doit inclure les questions d’harmonisation des fréquences ou encore des objectifs de très haut débit.
Je constate par ailleurs que Google et Apple, par exemple, sont des plateformes commerciales centrées sur leurs propres intérêts. Il y a aujourd’hui, j’en suis convaincu, un besoin de régulation dans ce domaine.
Je propose d’encourager le développement de plateformes neutres dotées d’une meilleure protection des données personnelles et donc plus « loyales » envers l’utilisateur. Des moteurs de recherche neutres existent déjà, il faut les développer et en étendre l’usage !
Ce besoin de régulation est également un aspect important de la politique de développement du cloud que je défends : une politique au service des intérêts industriels européens mais aussi de la protection des données personnelles et des affaires.
Voici les grandes lignes du projet que je défends sur le numérique.
Ces propositions reflètent le projet de refondation plus global que je défends pour mon pays : plus de liberté, plus d’efficacité, plus de croissance, plus d’économies – et donc moins de dépenses – et enfin plus de justice sociale.
J’ajoute qu’il y a une dimension patriotique très forte dans ce que je propose puisqu’il s’agit d’inscrire la France dans le peloton de tête des grandes économies numériques mondiales. Ce n’est pas rien.
Face aux immenses difficultés économiques que nous traversons, j’ai la conviction que le numérique peut être un des leviers essentiels de notre redressement.
Je vais poursuivre le dialogue avec les professionnels et les Français pour enrichir ce projet qui porte un espoir de renaissance économique et culturelle.
Les révolutions sont presque toujours à l’origine de grands progrès mais elles laissent aussi beaucoup de victimes dans leur sillage.
Victimes ou bénéficiaires de la révolution numérique : la France et l’Europe ont encore le choix de leur destin.
Alors agissons !