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Diane Malosse

François-Xavier Bellamy | Capture Youtube
François-Xavier Bellamy | Capture Youtube

Il aura tout tenté pour s’extirper de ce fichu portrait. Une première fois, par une réticence très courtoise au bout du fil. Il est touché. Mais ce n’est pas bien le moment. «Vous pourriez me rappeler dans deux mois?» En réalité, François-Xavier Bellamy n’avait aucune envie d’être rappelé plus tard, ni même jamais. Être présenté comme le nouvel intellectuel conservateur de la droite, pas trop pour lui. Il faut insister, bien sûr. Et l’observer, tout propret dans sa chemise blanche et sa veste de costard noire, s’appliquer devant son café allongé à démentir toute ambition mal placée: «Je dis ça sincèrement, vraiment, je l’éprouve au fond de moi-même, mon but n’est surtout pas d’exister ou de devenir un intellectuel connu. Je déteste l’idée que vous fassiez un portrait de moi, ça me fait stresser terriblement.» Même après avoir papoté durant 2h15, il lâchera timidement: «Vous êtes sûre que vous devez le faire ce portrait?»

Oui. Et pour cause: le professeur de philosophie de 32 ans incarne ce renouveau conservateur amené à peser sur la redéfinition de la droite, qui va élire son nouveau chef le 11 décembre. Quand celle-ci, laminée par la défaite, semble être en déshérence intellectuelle, divisée en autant de chapelles que d’ambitions personnelles, lui tente de lui insuffler quelques neurones en carburant aux tribunes engagées. D’ailleurs, sa persévérance à répéter qu’il n’a jamais milité dans aucun parti –et ses variantes «je n’ai jamais été dans l’organisation de La manif pour tous» ou «je ne me suis pas impliqué derrière un candidat»– prêtent à sourire. Car la politique, il y goûte aussi. Et entre deux lectures de Nietzsche, il angoisse à l’idée de s’y brûler, et de perdre son qualificatif de prestige: philosophe.

Peu connus il y a encore quelques mois, les yeux bleus et le visage de premier de la classe de François-Xavier Bellamy envahissent désormais les plateaux télé et les pages des hebdomadaires. Débat avec Jacques Julliard dans Le Figaro Magazine, trois pages d’entretien dans Valeurs Actuelles, invité de «L’Emission politique» lors de sa rentrée… Attablé au café, il répond aux textos de sollicitation pour France Culture et David Pujadas. Et lance, tel un candide qui découvre le monde: «Je ne comprends pas, ça me dépasse!»

Laurent Wauquiez, fan number one

Les médias ne sont pas les seuls: Les Républicains se l’arrachent. François-Xavier Bellamy a pris le micro le 2 septembre aux Ateliers de la refondation du parti de La Baule à propos des «valeurs de la droite», et a été invité dimanche à la convention de Force Républicaine –le micro parti de François Fillon–, sur le thème «Quelle droite pour la France?». Il serait également intervenu à la journée de rentrée de Sens Commun si l’emballement médiatique autour des propos de son président Christophe Billan –ouvrant la porte à un rapprochement avec Marion Maréchal Le Pen– n’avait pas poussé le mouvement à repousser l’événement.

Il échange régulièrement avec le proche de François Fillon et chef de file LR au Sénat Bruno Retailleau, le secrétaire général du parti Bernard Accoyer, et bien sûr, Laurent Wauquiez qui le cite dans toutes ses interviews. «Il apprécie ses travaux sur l’éducation, ils se sont vus plusieurs fois et se parlent au téléphone, décrit l’entourage du très probable futur président de LR. Laurent a la volonté d’ouvrir le parti à des penseurs qui s’expriment dans le débat public pour vivifier le débat à droite.»

Il faut le dire, le jeune homme a de quoi faire hurler tous les tenants de la gauche progressiste. Catholique, Manif pour tous, proximité avec Sens Commun, Versaillais depuis toujours… Un crève-coeur pour celui qui fuit les étiquettes comme la peste. «Je sens que je vais encore être décrit comme « le conservateur catho »…», soupire-t-il, après avoir développé une argumentation philosophique en trois parties pour prouver que «conservateur» était un adjectif «inopérant» le concernant! De droite en revanche, il l’assume: «Je ne suis ni progressiste, ni libertaire, et je n’ai jamais été attiré par les sirènes de l’étatisme en mode soviétique.»

Sur sa famille politique, il s’autorise une certaine sévérité. L’accuse de paresse intellectuelle, d’enfermement dans une vision gestionnaire («On ne va pas se reconstruire juste en disant qu’il faut faire des dépenses plus contrôlées dans le budget de l’État»), ou d’avoir versé dans la défense des privilégiés. Il se dit d’ailleurs «écœuré» de voir Fillon «se pavaner dans sa voiture de luxe»: «Il devrait rentrer dans un monastère et se faire oublier.» Il a tout de même voté pour lui aux dernières élections. «Le projet doit dépasser la personne.» Évidemment…

«François Fillon devrait rentrer dans un monastère et se faire oublier»

François-Xavier Bellamy

Mais Bellamy refuse de ne parler que de la droite. C’est toute une opposition anti-Macron qu’il appelle de ses voeux. Elle réunirait des personnes «qui n’ont pas toujours voté la même chose». Un nouveau clivage, en quelque sorte. D’un côté, le camp qui défendrait «l’ouverture à la science et aux techniques, la passion pour le mouvement, l’idée de l’individualisme poussé jusque dans ses dernières conséquences». De l’autre, son alternative, celle des anti-Macron, tous réunis comme par magie:

«Ceux qui pensent que ce qui fait la société, ce sont les liens entre les personnes plus que les intérêts individuels, que les projets de vie pertinents ne sont pas ceux qui se chiffrent le plus, que ceux qui ne réussissent pas au sens social ne sont pas condamnés à n’être rien, que la culture et la nature sont des héritages qui méritent d’être transmis.»

Il salue la «lucidité» de José Bové dans son opposition à la PMA pour les couples de femmes, et se félicite que Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, ait récemment défendu l’universalité des allocations familiales. Le signe, selon lui, qu’une alternative politique inédite est envisageable. Belle utopie.

Son sujet de prédilection? La crise de la transmission. Ce n’est pas très étonnant pour ce fils d’une professeur de français devenu lui-même professeur de philo. Un coup de foudre avec la matière en terminale L, puis une scolarité brillante –prépa à Henri IV, Normale Sup’– feront le reste. Le jeune prof pourrait parler pendant des heures de l’Éducation nationale: «La France a le système le plus inégalitaire de tout l’OCDE, ça devrait tous nous empêcher de dormir. C’est un peu Mozart qu’on assassine dans beaucoup de nos banlieues et de nos quartiers.»

Dans son lycée confortable du XVe à Paris, où il enseigne en prépa, lui espère encourager des vocations enseignantes, «faire en sorte que ces jeunes issus de milieux sociaux favorisés ne s’enferment pas tous dans les écoles de commerce». Il est, au fond, assez lucide à propos de son propre camp: «Il y a un milieu social coupable d’avoir déserté les métiers de la parole, une droite, y compris catholique, qui se dit toujours animée de beaucoup de convictions mais qui est devenue très matérialiste dans son rapport à la réussite.»

Contre la loi Taubira et la PMA

Son petit pamphlet sur l’éducation le révèle au grand public en 2014: Les Déshérités ou l’urgence de transmettre. Il y convie Descartes, Rousseau et Bourdieu pour expliquer l’origine de la crise de la transmission, et qui le mènera aux quatres coins de France: il anime 200 conférences en un an. Un long chemin parcouru depuis sa première tribune remarquée dans Libération en 2012, «Jeunes de France, battez-vous». Une réponse à la provocation de Félix Marquardt publiée quelques jours plus tôt («Jeunes de France, votre salut est ailleurs: barrez-vous!»). Les deux chicaneurs s’étaient retrouvés invités des radios et plateaux télé, et Bellamy avait inauguré son premier passage sur les écrans, dans «Ce soir ou jamais». D’autres textes ont suivi, beaucoup au moment de la loi Taubira, contre laquelle il a manifesté.

L’annonce de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes par Marlène Schiappa en septembre ne pouvait pas rester sans réponse de sa part. Il prend la plume pour décrire dans Le Figaro cette «dernière frontière avant le transhumanisme». Tout en jurant aujourd’hui être allergique à la polémique. «J’aurais préféré ne pas m’impliquer parce que je sais que je vais me faire traiter d’homophobe, qu’on va me prendre pour un sale réactionnaire. J’ai du mal à être totalement indifférent à la critique. Mais le monde qui se dessine me tétanise.»

Au fond, ce n’est pas si étonnant pour quelqu’un qui aime le temps long de la réflexion, les dissertations construites, et «le caractère consensuel d’un raisonnement qui se tient bien». Il ne cesse de dire que ses «soirées de la philo» constituent son petit plaisir bi-mensuel, car «c’est le contraire de l’expérience polémique». Depuis la création de cette structure en 2013, le professeur de la journée en remet une tartine deux lundi soirs par mois avec des cours de philo ouverts à tous à Paris. Et il faut le reconnaître: il n’a jamais paru plus à l’aise que lors de ses déambulations micro en main sur la scène du théâtre Saint-Georges rempli à ras bord, à citer Nietzsche, Aristote –et même OSS117 pour faire croire qu’il est moderne.

«Il fuit la polémique et ne veut se mettre personne à dos, analyse le conseiller d’opposition FN Thierry Perez. Il a un positionnement un peu gendre idéal, surtout à Versailles avec l’étiquette catho. Ce n’est pas le genre à taper du poing sur la table!» L’un de ceux qui l’ont côtoyé dans la période post-Manif pour tous s’amuse de son côté «sage» et «premier communiant bien élevé»:  «On a l’impression d’une oie blanche en face de soi! Mais il est beaucoup plus surprenant que son apparence policée le laisse deviner.» Plus surprenant que son étiquette de catho de droite, disons. Capable de citer les paroles des chansons d’Orelsan –«j’écoute du rap pour comprendre le monde d’aujourd’hui»– ou de se référer à Jean-Pierre Chevènement sur l’Europe (Bellamy a voté non au référendum de 2005). Capable, aussi, de vanter les campagnes «magnifiques» de Mélenchon, dont il a regardé tous les meetings en 2012.

Est-ce pour agir contre cet état du monde angoissant que l’intellectuel bifurque régulièrement en politique? Peut-être. À chaque fois, il jure que ce n’est pas calculé. «Hasard absolu», «suite de coïncidences», «je n’ai jamais mis en oeuvre de stratégie pour faire de la politique»… Encore cette peur de se voir taxé d’ambition démesurée. Toujours est-il qu’il fait un passage au ministère de la Culture pendant ses études en 2006 pour aider la plume de Renaud Donnedieu de Vabres, titulaire du poste à l’époque. «Ça m’a permis de découvrir une forme de vacuité de la parole politique. Vous écrivez des discours pour quelqu’un d’autre donc vous vous rendez compte que tout ceci est très désincarné.» Retour à la philo, c’est plus «consistant». Bellamy récidive en 2008, quand il est élu sur la liste municipale Divers droite de François de Mazières à Versailles. Il prend ensuite une année de césure et rejoint le cabinet de Rachida Dati comme «conseiller de la prospective», et se promet «d’aller passer quelques années dans la vraie vie».

Un talent certain pour la langue de bois

Sauf qu’il semble difficile pour lui de ne pas répondre à l’appel de l’engagement. Après la large mobilisation de la Manif pour tous, un groupe de jeunes se mobilise pour donner une suite au mouvement et lui trouver une traduction politique. Ce sera Sens commun, lancé en novembre 2013 et intégré à l’UMP de l’époque. Bellamy participe aux réunions de préparation, puis jette l’éponge. «J’ai trouvé ça fort de café qu’il abandonne le bateau quelques semaines avant le lancement, se remémore un des fondateurs. Je pense qu’il a eu peur et n’a pas choisi entre son engagement politique et sa vie d’intellectuel. François-Xavier est un être complexe: il a une intelligence affûtée, mais aussi beaucoup de mal à trancher.» Le concerné reconnaît sa méfiance envers l’encartage: «À ce moment, j’avais en tête « Les Déshérités », et je voulais pouvoir parler de l’école sans être immédiatement catalogué comme porte-parole d’un parti.»

Peine perdue, il cède de nouveau à la tentation politique lorsque le maire de Versailles François de Mazières lui cède sa place pour les législatives de 2017 dans les Yvelines. Mais le «nouveau monde» macroniste l’emporte de 800 voix au second tour. «Le soir des législatives, il était blanc comme un linge en voyant En Marche lui bouffer la place, raconte un élu versaillais. C’est le propre de ces intellectuels qui s’autosuffisent et finissent par s’enfermer dans leurs pensées: ils ratent des choses de la vie réelle. Il a oublié que sa circonscription ne se résumait pas à Versailles, qu’il y avait aussi Guyancourt et Montigny.» Bellamy a fait 60% à Versailles, près de 37 à Montigny, et presque 30 à Guyancourt.

Même le mouvement que le philosophe s’apprête à lancer est… ambigu. Politique, réflexion, les deux à la fois. À quoi va donc servir cette chose hybride? Il répond évasivement: «entretenir la réflexion, cultiver le projet qu’on avait établi ensemble». Mais admet aussi une dimension politique: «continuer à fédérer les gens qui se sont engagés dans la campagne», «préparer le terrain pour la reconquête dans cinq ans». Tout en jurant la main sur le coeur ne pas savoir s’il sera candidat. «Peut-être que je serai marié, que j’aurai deux enfants, que j’habiterai Bordeaux, et que je ferai complètement autre chose!» Comment y croire… L’ambition serait-elle un défaut chez les catholiques? L’Évangile selon Saint-Marc semble apporter une réponse: «Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il en vient à en perdre son âme?»

«François-Xavier est trop pur pour être un politique de première ligne. Il n’a pas ce côté « chef de guerre testostéroné tueur »», résume un des fondateurs de Sens Commun. Pourtant, s’attarder sur certaines de ses réponses s’avère assez révélateur: «Je ne vais pas rentrer dans le jeu des noms» quand on lui demande de qui il se sent proche à LR. Ou encore, à propos de l’actualité mouvementée de Sens Commun: «Je m’interdirais de porter un jugement. Je fais un peu de voile et j’ai toujours trouvé pénible les commentaires des gens qui sont sur le quai et qui commentent les gens qui sont à la barre en disant toujours qu’ils ont tort». Un talent certain pour la langue de bois. François-Xavier Bellamy est fin prêt pour la politique.

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