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Avec l’interview, ou plutôt la mise à la question de Brigitte Lahaie par Patrick Simonin, diffusée le 12 janvier dernier sur TV5 Monde dans le cadre de l’émission « L’Invité », la honte a soudainement changé de camp. Drapé dans une indignation vertueuse, exigeant de son invitée des excuses qu’elle n’a cessé de formuler pour un propos maladroit, mais cruellement exact (« on peut jouir lors d’un viol »), le journaliste, outrepassant sans vergogne les signes avant-coureurs de sa fragilité, ne s’est arrêté de torturer Brigitte Lahaie que lorsqu’elle a fondu en larmes. Quiconque a visionné cette interview a pu ressentir un malaise que le seul consensus ne peut suffire à effacer.

par Paul Bensussan, psychiatre,expert agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale de La Haye
et Marie de Vathaire, professeur de littérature et sexothérapeute

 Commençons par reconstituer la scène du crime : depuis les révélations sur les agissements de l’infâme Weinstein, nous voyons, effarés, s’allonger chaque jour la liste de ses victimes, tout comme celle d’autres célèbres prédateurs et satyres. Les féministes de l’aile furieuse se réjouissent : « perte des repères, libération de la parole, loi du silence, impunité des criminels sexuels », sont égrenées au fil des articles, telle une litanie de poncifs. Time’s up ! et #Banlancetonporc (l’appel aux dons est lancé par Sandra Muller) nous montrent que la période du laxisme et de l’impunité des délinquants sexuels est révolue.

C’est dans ce contexte qu’une tribune dissonante a été publiée le 08 janvier dans le Monde, rédigée par des intellectuelles et co-signée par une centaine de personnalités féminines, dont Catherine Deneuve (qui s’en souvient encore, en raison de la vague de haine soulevée par sa « caution ») et Brigitte Lahaie.

Celle-ci a depuis commis une maladresse, présentée comme un crime : affirmer, dans un débat face à la militante féministe Caroline de Haas, qu’une femme victime d’un viol peut néanmoins en jouir.

À celle-ci, assenant comme une vérité inaliénable que « les violences empêchent la jouissance », Brigitte Lahaie a eu le malheur de rétorquer, dans la spontanéité du débat, qu’on « peut jouir lors d’un viol ». Terrible et choquant paradoxe que tout psychiatre, psychologue ou sexothérapeute connaît pourtant, non seulement parce qu’il s’agit hélas d’une vérité scientifique, mais aussi parce que les ravages psychologiques chez les victimes de viol, notamment incestueux, ayant fait la douloureuse expérience de voir confrontées des émotions aussi contradictoires que le dégoût et le plaisir, sont classiquement exprimés en thérapie.

Mais le « Parti unique des femmes », pour reprendre le titre provocateur d’Elisabeth Lévy, et « les braves gens », comme le chantait si bien Brassens, « n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux ».

C’est ainsi que toute parole dissonante et pourtant experte comme l’est incontestablement celle de Brigitte Lahaie, expose son auteur au pilori. Pour ne pas dire au lynchage.

C’est en effet ce terme qui exprime le mieux le supplice qu’a infligé Patrick Simonin, dans un éblouissant numéro de « vertuosité » -on pourrait appliquer ce néologisme à la vertu ostentatoire, à supposer que le seul terme de vertu n’y suffise pas- avant tout destiné à montrer qu’il ne faisait pas partie, comme la plupart de ses congénères, des primates agresseurs.

Bel exemple de civilisation en vérité, que la torture en direct d’une femme courageuse, jusqu’à ce que celle-ci fonde en larmes dans une douleur expiatoire qui lui vaudra l’indulgence (toute relative) de son interviewer-tortionnaire.

« Est-ce que vous regrettez ces propos, qui ont profondément choqué ? » commence en douceur l’attaquant, roulant presque des épaules et apparemment décidé à ne pas s’en laisser conter.

Contrite, manifestement éprouvée par la déferlante de haine des dernières heures, Brigitte Lahaie fera d’emblée amende honorable, regrettant de ne pas avoir assorti son assertion d’un « malheureusement » qui l’eût atténuée, cherchant continuellement une conciliation que son interviewer, impitoyable, lui refusera tout au long de cette consternante interview. Se faisant ainsi le chantre d’un adversaire invisible mais omniprésent (les victimes), sacrifiant sur leur autel toute neutralité journalistique, sûr de l’impunité que lui garantissait la noblesse de la cause.

Le journaliste taraude l’interviewée, soulignant le caractère blessant des propos de Brigitte Lahaie pour les femmes victimes de violences (dont Caroline de Haas, l’offensée lors du débat), demandant à l’envi à son invitée d’exprimer ses regrets pour avoir blessé celles et ceux qui ont pu l’écouter. Soulignant cruellement le « lâchage » de Brigitte Lahaie par les cosignataires de leur tribune, l’accusant ni plus ni moins d’avoir banalisé les violences sexuelles, Patrick Simonin lui dicte son propos, ou du moins celui qui aurait dû être le sien. La pensée unique, la seule qui soit autorisée et audible : « On doit simplement condamner tous ces comportements-là », dit-il sentencieusement, tel un maître d’école oscillant entre fermeté et indulgence. Comme si le seul fait d’évoquer la complexité de la délinquance sexuelle, de la criminalité, et en général du psychisme humain, ou la dissonance éventuelle du corps et de l’esprit, qui, comme le dit Brigitte Lahaie, « ne coïncident pas toujours », était en soi une violence, un outrage supplémentaire infligés aux victimes.

Contraignant son invitée acculée à formuler des évidences, comme le fait de ne jamais avoir « pris la défense des violeurs » ou encore de ne pas faire l’apologie du viol, pour avoir été militante de la première heure de l’association « Stop aux violences sexuelles », le journaliste, fort de la mission rédemptrice dont il s’investit, s’acharne sur son interlocutrice. Petit à petit, toréée par l’interviewer, les yeux de Brigitte Lahaie s’embuent, sa voix s’étrangle, l’émotion l’envahit. Sans lui valoir pour autant, à ce stade, la clémence de son tortionnaire, répétant infatigablement la question-clé de son interview « Vous le regrettez, Brigitte Lahaie ? ».

Mais le meilleur est à venir. Le grief le plus impardonnable sera formulé tel un impitoyable chef d’accusation : « Cette tribune était à contre-courant ? ». Oui. Et alors ? Cela relève-t-il du Code pénal ? Et si oui, lequel ? Celui de la bien-pensance ? Présenter comme un crime le seul fait de ne pas exprimer une opinion majoritaire, ou même d’apporter une nuance au dogmatisme ambiant, en évoquant le principe de réalité, serait donc condamnable et obligerait le contrevenant à une douloureuse expiation ?

« Vous êtes blessée par toutes ces attaques ? Vous en souffrez, Brigitte ? » demande, soudainement compatissant, le journaliste à son invitée à terre. Patrick Simonin va alors oser le pire : contraindre son invitée, professionnelle de renom, à une confession intime qui nous paraît franchir la ligne rouge. Brigitte Lahaie, comme on pouvait s’en douter, se voit contrainte d’avouer être « une femme qui a souffert dans sa chair », tout en acceptant, avec un fatalisme résigné, de devenir le « bouc émissaire [de ses co-signataires] pour calmer le jeu ».

Brigitte Lahaie, nous nous adressons à vous pour vous exprimer notre sympathie, au sens le plus étymologique de ce terme. Vous n’avez pas à regretter vos propos, car nous, spécialistes de la délinquance sexuelle, de la prise en charge de la misère sexuelle et des avatars de la sexualité humaine, nous savons que votre seul tort a été de formuler une vérité inaudible. Nous ne prendrons pas ici d’inutiles précautions oratoires : vos propos, qu’aucun professionnel non militant ne saurait contredire, méritaient d’être nuancés. Mais certainement pas de vous valoir une exécution en place publique. Moins encore l’obscène (hors du champ, hors de la scène) séance de torture qui vous a été infligée au nom de la vertu outragée. Votre émission, avec le tact et l’érudition dont vous y faites preuve depuis 17 ans, a encore de beaux jours devant elle. Et nous sommes bien d’accord avec vous : avec cette vague qui nous submerge aujourd’hui, « la compréhension de la sexualité recule plus qu’elle n’avance ».

[1]dernier ouvrage paru : Le Nouveau Code de la Sexualité, avec Jacques Barillon, éditions Odile Jacob

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