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Un concordat entre l’État et les religions pourrait présenter, aujourd’hui, plus d’avantages que d’inconvénients, plaide l’historien.

Sous les ogives du Collège des Bernardins, bravant les sceptiques de chaque bord – ce sont ses propres termes -, le président de la République a lancé, devant un parterre attentif, ému et mitré, une phrase qui le soir même donnait des convulsions aux thuriféraires du petit père Combes. En évoquant un lien entre l’Église et l’État, Emmanuel Macron aurait porté – selon eux – un coup terrible à la République, qu’il a le devoir d’incarner.

C’est évidemment oublier un peu vite que la loi de séparation des Églises et de l’État est d’abord le fruit d’un concours de circonstances dont, à l’origine, Émile Combes lui-même ne voulait pas. Dès les années 1880, la IIIe République conduisait une guerre sans merci contre les congrégations religieuses, mais il n’était pas question, même pour un gouvernement anticlérical, de mettre fin à un concordat qui offrait un outil de contrôle très efficace. Les curés avaient interdiction d’exprimer une opinion politique en chaire et obligation de prononcer leurs sermons en français – même au coeur du pays bigouden – de façon que les préfets puissent s’assurer que leurs contenus n’étaient pas hostiles à la République. C’est le scandale des fiches qui entraîna le vote précipité de la loi dite de séparation. Combes y consentit pour protéger sa majorité au bord de l’implosion après que le lien entre le ministère de la Guerre et le Grand Orient de France eut été révélé au grand jour. Il pensait conserver les voix de la gauche radicale, mais cette concession n’empêcha pas sa chute. La loi sera finalement votée et, grâce à l’habileté politique d’Aristide Briand, la France échappera à la guerre civile.

Il est vrai qu’une autre guerre se préparait, mondiale celle-là, et qui allait bientôt réconcilier, dans la boue sanglante des tranchées, officiers catholiques et instituteurs radicaux-socialistes. C’est ainsi qu’en 1920 le Parlement d’une République, qui avait pourtant consommé son divorce religieux quinze ans plus tôt, vota à l’unanimité l’instauration de la fête nationale de sainte Jeanne d’Arc et du patriotisme toujours en vigueur et jamais contestée ! Dès l’année suivante, les relations diplomatiques avec le Saint-Siège étaient rétablies et le lien entre l’Église et l’État était renoué. Aux Bernardins, Emmanuel Macron n’a donc fait que marcher sur les traces de Poincaré, de Millerand et d’autres prédécesseurs. Faut-il le lui reprocher ?

Bien évidemment, à un siècle de distance, la société française, très déchristianisée, n’est plus celle de Maurice Barrès. Dans le pays de saint Vincent de Paul ou de sainte Thérèse de Lisieux, souhaiter un joyeux Noël à ses collègues relève presque du geste communautaire. Pourtant, si les laïcistes ont cru benoîtement que la sécularisation de la société simplement encadrée par l’école de la République viendrait à bout du sentiment religieux, ces bons apôtres du progrès n’avaient pas prévu le retour du refoulé. Les prières de rue sont venues rappeler aux militants du Droit au logement que prier dignement est aussi un droit fondamental. Et les grandes manifestations de 2013 contre la loi Taubira ont montré que les convictions intimes n’étaient pas aussi facilement solubles dans le progressisme de société qu’il était permis de le penser attablé à la terrasse du Café de Flore.

Plus tragique, le terrorisme islamiste qui s’acharne sur notre vieux pays avec une rage folle et la montée, jusque dans nos campagnes, de la radicalisation appelleront peut-être demain un aggiornamento politique sur ces questions. Une République qui, selon la formule consacrée, ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte est-elle encore en mesure d’offrir à l’exercice de la religion un cadre qui la protège de détournements pervers dont elle est la victime et l’objet ? Cette question cruciale, personne n’ose encore la poser, mais c’est oublier, là encore un peu vite, que le concordat de 1801 fut aussi voulu par Bonaparte pour mettre un terme aux guerres de Vendée et ramener en France la paix civile avec la paix religieuse. Peut-être faudra-t-il qu’un jour nous ayons collectivement le courage de nous demander si une pratique trop corsetée de la laïcité, loin d’être la solution tant vantée, ne fait pas obstacle à ce fameux vivre ensemble si communément invoqué dès lors qu’elle refuse obstinément à l’État le droit d’intervenir dans le fait religieux, qui reste – au même titre que la culture un fait social.

Certes, un tel renversement des points de vue exigerait de la part de la société française, qui n’y est certainement pas prête, une véritable révolution copernicienne, tant du point de vue de la pensée politique, souvent très conformiste, que d’un droit qui manque parfois de souplesse. Il faudrait accepter l’idée que le monde ne tourne pas autour d’une loi votée en France il y a plus d’un siècle et que la religion reste au coeur des principales interrogations de l’humanité. Cela, pourtant, aucune puissance publique ne peut feindre de l’ignorer. * Auteur de « Ainsi Dieu choisit la France. La véritable histoire de la Fille aînée de l’Église » (Plon, 2016).

« Peut-être faudra-t-il qu’un jour nous ayons collectivement le courage de nous demander si une pratique trop corsetée de la laïcité, loin d’être la solution tant vantée, ne fait pas obstacle ensemble» à ce fameux vivre

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