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Henri Vernet
Dominique de Villepin, ici en septembre dernier sur le plateau de « BFM politique », en partenariat avec Le Parisien. LP/ARNAUD JOURNOIS

L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac lors du refus de la France d’intervenir en Irak, en 2003, jette un regard inquiet sur l’état du monde. Et sur la décision d’Emmanuel Macron de participer aux frappes en Syrie.

Ancien Premier ministre de Jacques Chirac, et ex-patron du Quai d’Orsay, Dominique de Villepin fut l’homme du « non » à la guerre de l’Américain Georges Bush en Irak, en 2003. Et face aux frappes menées par les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne le 14 avril dernier en Syrie (en représailles à une attaque chimique attribuée au régime de Bachar al-Assad), celui qui avait soutenu Emmanuel Macron à la présidentielle ne cache pas son inquiétude, face à ce monde dans lequel les relations internationales se tendent.

Les frappes en Syrie vont-elles aider à une stabilisation de la région ou au contraire accentuer l’imprévisibilité ?

Dominique de Villepin. Ces frappes sont le fruit d’un compromis entre une exigence morale et un impératif de réalisme, d’autant plus difficile que le président de la République avait fixé une ligne rouge qui obligeait à agir. Il résulte également d’un pari, forcément frustrant et insatisfaisant, que la fermeté française pousserait la Russie au dialogue et les Etats-Unis à la modération. Mais soyons bien conscients qu’il y a un risque d’effet boomerang au lendemain de ces frappes, au travers d’un engrenage militaire en Syrie et d’une image de la France empreinte d’unilatéralisme.

Comment atténuer ces risques ?

Il faut se mobiliser d’autant plus pour trouver une solution politique, tant en raison de la tragédie que vit le peuple syrien depuis sept ans, qu’en raison des menaces croissantes d’escalade entre grandes puissances, avec les interventions de la Turquie, de l’Iran ou d’Israël.

Kim Jong-un annonce l’arrêt des essais nucléaires nord-coréens. Est-ce la fin d’une menace ?

C’est, bien sûr, une bonne amorce de dialogue, qui met aussi le régime nord-coréen en situation favorable dans la relation avec les Etats-Unis. Attention à ne pas, pour autant, prendre un point de départ pour une ligne d’arrivée et impliquons, au-delà de la nécessaire Corée du Sud, la Chine, la Russie et le Japon dans la perspective d’un traité de paix et de sécurité régionale.

Que faut-il attendre du voyage du président Macron à Washington ?

Face à l’accumulation des menaces, la France doit avoir le courage d’alerter le président américain sur les risques que fait peser l’imprévisibilité sur la scène internationale, et notamment vis-à-vis de l’Iran – la décision sur l’accord avec l’Iran de juillet 2015 sur la non-prolifération nucléaire est en effet attendue. La France doit rester ferme sur ses principes et vigilante sur son indépendance. A travers un langage de vérité et de fidélité à nos valeurs et à notre vocation historique, nous pourrons préserver notre influence et notre capacité d’action.

Comment doit évoluer la relation avec la Russie ?

Nous avons un devoir absolu et un intérêt vital à adopter une vraie stratégie vis-à-vis de la Russie. Des lignes de force se dessinent en effet : la Chine et les Etats-Unis sont engagés, à long terme, sur une trajectoire de collision. Les précédents historiques montrent qu’une puissance ascendante et une puissante déclinante sont vouées le plus souvent à l’affrontement. On le voit dans les technologies ou les droits de douane. On le devine déjà dans la surenchère militaire. Dans cette bipolarisation du monde, l’Europe et la Russie risquent d’être englouties dans la sphère d’influence de l’un des deux géants rivaux, à leur grand détriment.

Comment l’éviter ?

Le président de la République peut, en Russie, jeter les bases d’une relation d’Etat à Etat, franche, ferme, mais proposante et visionnaire. Même si cela paraît difficile à entendre parfois, c’est aujourd’hui l’intérêt de la Russie de saisir une main tendue. Nous aurons besoin pour cela à l’avenir de nouveaux instruments d’un dialogue structuré entre Paris, Berlin, Moscou et Pékin, ils ne remplaceront pas, mais compléteront, la relation essentielle que nous partageons avec les Etats-Unis.

Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, quel premier bilan tirez-vous en matière de politique étrangère ?

Depuis un an, le président de la République s’est employé, non sans éclat, à refonder notre politique étrangère. Des discours importants ont jalonné ce chemin. Il affirme sa volonté de revenir à la vocation d’indépendance, d’équilibre et d’initiative qui est celle de la France. Mais notre politique étrangère court le risque de sortir de son axe, en raison notamment d’un environnement international profondément dégradé, tant par l’imprévisibilité de l’administration Trump, que par l’instabilité et la grogne européenne, de Hongrie en Italie en passant par la Catalogne. Sans oublier le raidissement guerrier au Moyen Orient, opposant l’Arabie Saoudite, Israël et les Etats Unis à l’Iran, la Syrie et la Russie.

Il y a des ajustements à opérer ?

Dans ce contexte, la priorité absolue est de défendre nos intérêts, en premier lieu notre sécurité et notre indépendance. Cela passe par le choix de la souveraineté européenne, mise en avant par Emmanuel Macron dans son discours à Strasbourg. Nous devons ancrer le dialogue avec une Allemagne qui joue un rôle croissant sur les enjeux stratégiques globaux, par sa capacité à parler à la Russie et à la Chine, par sa retenue sur les interventions extérieures et par sa volonté nouvelle d’affirmer l’autonomie stratégique européenne. Notre avenir se joue d’abord en Europe.

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